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Histoire : KID A de Radiohead

Bonjour, bonsoir à tous et à toutes ! J’aimerais aujourd’hui vous parler d’un album, certes peu récent, mais qui reste intemporel. Il déborde de créativité et a été nommé dans les 500 plus grands albums de rock de tous les temps : il s’agit là de l’album KID A par le groupe de rock (très) alternatif Radiohead, sorti le 2 octobre 2000.

 

Cover playlist KID A

 

KID A est le 4ème album de Radiohead, et l’un des plus marquants en termes de qualité. Coproduit par Nigel Godrich, c’est le premier album du groupe à proposer des sonorités si éloignées de ce qu’on imaginerait d’un album vraiment rock, qu’il pousse à l’émerveillement chez certain, qualifiant Radiohead de « génies de la musique ».

 

Mais d’abord : il faut savoir les bases du groupe.

 

MANUEL DE LECTURE :

Vous vous apprêtez à lire un véritable travail d'archive et d'analyse historique. C'est pourquoi, pour vous permettre de vous plonger en immersion dans la légende de KID A et de Radiohead, nous avons créé une playlist parcourant les morceaux évoqués au fur et à mesure de l'article.

Vous retrouverez celle-ci en cliquant sur le lien de votre plateforme d'écoute : Spotify, Deezer, Youtube.

Si vous ne souhaitez pas perturber votre lecture en écoutant de la musique en même temps, nous avons intégré le lien des morceaux sur YouTube à chaque occurrence de leur titre. Il vous suffira de cliquer sur le nom de la musique pour y accéder sur YouTube.

 

Bonne lecture.

 

1 : les origines, en bref

 

Membres radiohead

 

Radiohead est un groupe formé en 1985 à Abingdon, en Oxfordshire en Angleterre. Les noms des artistes (ci-dessus de gauche à droite) et leur importance dans le groupe :

 

- Colin Greenwood, bassiste du groupe, pratique également la contrebasse, le synthétiseur et toutes sortes de percussions.

 

- Jonny Greenwood, guitariste principal du groupe mais également joueur de piano, orgue, xylophone, violon, etc…(il est sans doute le membre le plus polyvalent avec les instruments de musique).

 

- Thom Yorke, chanteur, pianiste, guitariste et membre majeur du groupe, il est le fer de lance de Radiohead

 

- Phil Selway, batteur du groupe, il en est également le membre le plus âgé.

 

- Ed O’Brien, guitariste du groupe, il est également la « deuxième voix de Radiohead » en tant que choriste sur plusieurs morceaux.

 

 

2 : Origines de KID A

Avec le succès que fut dès sa sortie OK Computer, leur troisième album, fin mai 1997, le groupe se retrouve vite noyé sous la pression médiatique. Ils enchaînent les tournées promotionnelles, parfois dans des conditions catastrophiques comme au concert de Glastonbury, qui restera dans la mémoire du groupe comme la goutte de trop (mauvais éclairage, pas de haut-parleurs etc..). Thom Yorke était déjà exténué mentalement d’avoir sorti un projet comme OK Computer, et la vague médiatique qui s’abattait sur le groupe eu des conséquences vraiment négatives sur ce dernier.

 

Cover de KID A

 

Cover KID A

 

Radiohead au Glastonbury Festival de 1997

 

Glastonbury festival 1997

 

Suite à toute cette attention reçue par le groupe, ils décident de complètement retravailler leur prochain album de manière à marquer une césure entre le Radiohead d’OK Computer et celui du futur, ne voulant pas subir une énième fois tout cet engouement oppressant de la part du monde entier.

 

Et c’est là que KID A entre en jeu.

 

 

3 : Prémices de la création de KID A

Les premiers enregistrements se font dès janvier 1999, avec en premier lieu « l’intro » de KID AEverything in Its Right Place, qui est réalisée.

 

Rien que ce premier morceau montre complètement la différence de ton entre du rock alternatif comme sur OK Computer, et le rock dit « expérimental », accompagné même de sonorités électroniques, sur KID A.

 

Cela découle naturellement de cette volonté du groupe de se détacher à tout prix de l’étiquette d’énième groupe de rock talentueux comme il y en avait pléthores dans les années 1990.

 

Cela dit, ce changement radical de direction artistique n’a pas été sans sacrifices : comme dit plus haut, la vague médiatique s’acharnant sur le groupe fit poser de nombreuses questions aux artistes concernés sur le futur de Radiohead : beaucoup avaient des avis divergents et cela déchira les relations internes à un point proche de la rupture du groupe. Tous finissent par s’accorder sur la direction d’un univers plus sombre, solitaire, les cris étant remplacés par des chuchotements et des murmures.

 

Il y a évidemment des exceptions mais il est rare qu’un groupe au sommet de sa popularité change radicalement de direction artistique à ce point.

 

 

Certains membres de Radiohead au Studios Medley, au Danemark en 1999

 

Studio Danemark

 

 

4 : Lécriture de Thom Yorke

Naturellement, le changement radical d’univers musical, doublé aux tensions conflictuelles entre les membres du groupe et la dépression de Thom transformèrent complètement l’écriture de ce dernier.

 

Lors de leur précédent album, Radiohead avait acquis l’idée d’une sorte de storytelling sur certains sons, qui laissaient tout de même pas mal de place à l’interprétation, par exemple :

 

- Airbag, qui parle explicitement des voitures et des dangers qu’il y a autour, traite d’un accident de voiture qui a traumatisé Thom Yorke quelques années auparavant.

 

- Karma Police est également une histoire sur quelqu’un agissant en tant que collaborateur de la Police de la Pensée, une milice/police présente pour formater les esprits des citoyens dans le très célèbre livre dystopique 1984 de Georges Orwell. Même le clip accentue l’idée d’un storytelling, car il s’agit d’un plan-séquence géant jusqu’au 2/3 du son.

 

- Subterranean Homesick Alien évoque la vie de quelqu’un étant persuadé que les extraterrestres existent et que ces derniers l’ont déjà fait voyager, mais qui n’est cru par personne.

 

Sur Kid A, c’est différent.

 

Certaines habitudes restent concernant le « storytelling interprétatif », avec la magnifique outro, Motion Picture Soundtrack (que je considère comme une lettre de suicide plus qu’une lettre d’amour, compte tenu de la dernière ligne du titre : « I will see you in the next life »).

 

Mais il y a tout de même davantage de place donnée à des textes complètement énigmatiques, souvent plus court et cette fois ci complètement interprétable. L’exemple accompagnant cette curieuse description est le titre éponyme Kid A. Thom Yorke, ici, en plus d’écrire des textes saugrenus, transforme sa voix de manière complètement méconnaissable : on dirait une sorte de démon qui chante à la place de l’artiste.

 

Ce choix de transformer sa voix sur certaines pistes a une justification : il fait ça car il aime de moins en moins sa voix et craint les moqueries que l’on pourrait faire dessus. Un choix qu’il fera également à la sortie du 5eme album du groupe, mais on y reviendra plus tard.

 

 

Noisemaker Effects trouvé sur Reddit, sur le thème de Kid A et de la voix distordue que peut avoir Thom Yorke occasionnellement dans l’album

 

soundengineer

 

 

5 : La multiplicité des instruments

Avec Kid A, Radiohead a élargi son panel d’instruments jouables. Il reste évidemment quelques guitares, mais sont minoritaires faces au reste :

 

- On entend de l’orgue dans Motion Picture Soundtrack ;

 

- Du saxophone est présent dans The National Anthem.

 

Le cas de National Anthem est particulier car il est, je crois, le titre de cet album avec le

plus d’instruments joués dedans. Vers le début de la 4ème minute du son, on entend une sorte d’orchestre improvisé, avec des trompettes et des saxophones de partout, ce qui donne une réelle impression de chaos.

 

Il y a également des instruments sur The National Anthem dont j’ignorais même l’existence, tel que les Ondes Martenot, instrument électronique muni d’un clavier et d’un appareil pour déformer les notes en formes d’ondes. Il s’agit également de leur premier album avec des musiques sans paroles, comme Treefingers ou Untitled.

 

En bref, même si OK Computer pouvait parfois surprendre avec certains instruments sur certains titres (Climbing Up the Walls et Subterranean Homesick Alien), ce n’est que peu comparé à la diversité musicale qui émane de Kid A. On ressent vraiment la recherche derrière ces sons d’effacer l’étiquette de rock grunge/alternatif. Ils voulaient montrer qu’ils étaient bien plus que ça.

 

Exemples d’ondes Martenot

 

martenot
Percussions

 

 

6 : L’atmosphère générale de l’album

Catégorie plus abstraite, mais que je trouve néanmoins importante d’aborder : Quels sentiments procure cet album ? L’écart avec OK Computer est-il creusé ? Pour cette partie, je vais m’appuyer sur un graphique fait par un fan, à l’aide d’un algorithme, qui a eu comme idée d’évaluer la discographie de Radiohead avec un indice d’obscurité, de malheur (Gloom Index), allant de 0 à 100 (0 étant le malheur incarné et 100 la joie de vivre, Kid A est classé dans la 4eme colonne en partant de la gauche).

 

graphique

 

Lien pour voir plus nettement : https://www.rcharlie.com/images/blog/fitter-happier/album_chart.html

Tout d’abord, en prenant en compte les origines et les prémices de création de Kid A, on s’attend à un univers débordant de souffrance et de haine, et ce n’est pas tant le cas que ça.

 

D’après le graphique, il s’agit du premier album avec des tons plus « joyeux » ou du moins plus dansant, depuis Pablo Honey, leur tout premier album. 4 sons ont dépassés la barre des 50 sur le Gloom Index, contre seulement 2 sur OK Computer.

 

Néanmoins, est-ce que l’on doit croire ce graphique à la lettre ? Pas vraiment. Il a raison sur certains points mais je considère qu’il faut éclaircir certaines choses :

 

L’album est dans l’ensemble triste, et quand l’ambiance n’est pas déprimante elle est très énergique, entraînante et motivante, exemple :

 

La piste 2, Kid A et la piste 3, The National Anthem :

 

- Kid A est un son lent, sans grands instruments, on se sent «proche» de Thom et la voix de ce dernier nous plonge dans un état second entre le mal-être pour certains et l’onirisme pour d’autres.

 

- The National Anthem utilise toutes sortes d’instruments comme dit plus haut, c’est un capharnaüm musical, mais qui tout de même arrive à rester cohérent et audible.

 

Comme indiqué, ces deux pistes se suivent, sans gradation. Alors qu’elles sont aux antipodes de ce que peux proposer le groupe à cette époque, ce dernier a décidé de les mettre d’affilée, et je trouve ça génial.

 

 

On sent durant l’album ce réel besoin, et je n’insisterais jamais assez dessus, pour le groupe de s’affranchir de tout ce poids médiatique qui est constant et de plus en plus lourd. Ça ira jusqu’à ce que Thom Yorke chante ce que son ami Michael Stipe lui à un jour dit au téléphone comme conseil pour surmonter son stress étouffant durant la tournée d’OK Computer : « I’m not here, this isn’t happening » sur l’un des chefs d’œuvre intemporel de Radiohead à mon humble avis : How To Disappear Completely.

 

Ce titre est je pense le meilleur de l’album, c’est également le plus juste, le plus sincère et le mieux écrit, Thom se délivre et nous parle de cauchemar qu’il fait dans laquelle il est submergé par la rivière Liffey, il raconte vraiment comment tout cette pression l’angoisse et le terrifie, il exprime sa panique de l’instant, présente au moment où il écrit ces lignes, et c’est fascinant.

 

Tracklist de Kid A

 

tracklist

 

 

7 : Le lien avec Amnesiac 

Kid A est spécial pour plein de raisons que j’ai expliqué plus tôt, mais le plus étonnant est qu’il s’agit en vérité de la première partie d’un double album, au début Kid A, suivi du 5eme album de Radiohead, intitulé Amnesiac.

 

Les deux albums ont été enregistrés à la même période, et publiés à quelques mois d’intervalle (octobre 2000 – mars 2001), ce qui explique que l’on retrouve plein de similarités entre eux :

 

- Des voix transformées dans Like Spinning Plates, You and Whose army ? et Pulk/Pull Revolving Doors. Revolving Doors est d’ailleurs, je pense, avec Like Spinning Plates l’un des deux sons faisant partie du top 10 de ce que Radiohead a pu faire de plus abstrait : des instruments utilisées aux paroles, en passant par la voix complètement différente de celle de Yorke, ce sont des sons utilisant un univers vraiment bien à eux.

 

- On entend également toutes sortes d’instruments variés principalement dans Life In a Glasshouse, Pyramid Song et Dollars and Cents.

 

D’ailleurs la ressemblance de ces deux projets à fait l’objet d’une édition originale en novembre 2021 intitulée KID A MNESIA, et qui regroupe les deux albums ainsi que quelques inédits. Un jeu vidéo servant de visualiseur de certains des sons présents dans KID A MNESIA est également sorti en novembre dernier et est une excellente initiation à l’univers de Radiohead.

 

Dans l’ensemble, Amnesiac est nettement plus triste et expérimental que Kid A, qui mettait déjà la barre très haute. La différence de ton entre OK Computer et Amnesiac n’a absolument rien à voir et pourtant il y a eu moins de 4 ans qui se sont passées entre les deux projets. C’était vraiment un choix risqué mais qui a marché.

 

Pochette d'Amnesiac

 

cover amnesiac

 

 

Pochette de KID A MNESIA

 

COVER KID A MNESIA

 

 

8 : Esthétisme

Depuis 1994-1995, Radiohead est accompagné au niveau des covers et de la direction artistique en général par Stanley Donwood, de son vrai nom Dan Rickwood. Il est l’auteur de chaque design des albums de Radiohead depuis The Bends, en 1995. D’après le nom de certaines peintures, présentes dans le jeu vidéo, la cover de Kid A et des déformations de cette dernière représenteraient les alpes autrichiennes avec ces chaînes de montagnes.

 

 

Représentation des alpes autrichiennes par Stanley Donwood, numérisée dans le jeu vidéo

 

Représentations Alpes autrichiennes

 

Cover de Kid A et variantes numérisées

 

variantes numériées 1

 

Autres designs de Donwood numérisés dans le jeu-vidéo

 

autres designs 2
AUTRES DESIGNS 3
AUTRES designs

 

 

9 : Réaction à la citation de Thom

Pour clôturer cet article, je souhaitais revenir sur une phrase que Thom a prononcée à propos de Kid A et d’Amnesiac : “Si Kid A voulait donner l'impression de contempler un incendie de loin, Amnesiac vise à placer l'auditeur au beau milieu des flammes”.

 

Je pense que Thom a su viser juste avec cette citation. Kid A donne ce sentiment de culpabilité face à un danger proche (par exemple l’incendie de loin est le danger et la culpabilité serait présente dans les lyrics avec bon nombre de paroles accusatrices sur l’environnement). Amnesiac représente plutôt l’impression d’un brasier qui envoûte les 5 membres pour résulter sur un univers musical autant dystopique à l’oreille qu’à la vue : les images de Donwood sont des visions de fin du monde pour certaines, on sent un besoin de parler de choses alarmantes autant dans Kid A que dans Amnesiac, et que les deux ne forment qu’un pour créer un des albums les plus marquants que j’ai pu écouter dans ma vie.

 

Radiohead à Lima, au Pérou, en 2018

 

Lima concert 2018

 

 

 

Louis, rédacteur chez Inflow.

 

Ajout du 22 novembre 2022 :

Nous venons de sortir une vidéo qui est l'adaptation vocale de cet article ! Ce dernier est lu par Diego's Tunes, et permet d'avoir des extraits des sons évoqués immédiatement dans les oreilles !

 



02/11/2022
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